“ Si l'espace est infini, nous sommes dans n'importe quel point de l'espace. Si le temps est infini, nous sommes dans n'importe quel point du temps”
Jorge Luis Borges
Jean Saint Hilaire, Le Soleil, Québec - Le 5 juin 2009
Dans ce qu’elle nous a donné à voir jusqu’ici au Carrefour, La Fabrique Imaginaire d’Eve Bonfanti & Yves Hunstad a joué d’une façon unique son
rapport au théâtre et au public, La Tragédie Comique donnée en début de festival constituant l’apogée de cette recherche. Dans Voyage, 1er épisode,
elle s’attaque à l’épopée, rayon métaphysique, et sa manière se révèle à nouveau sans pareille.
A son habitude, le duo abat la frontière entre le scène et la salle, réaffirme que, peu importe son objet, le spectacle se fonde sur l’expérience qu’en a le spectateur. Sa quête est le vivant : à chaque représentation sa résonance unique. Ce but, il l’atteint en portant ponctuellement l’action dans la salle, d’une façon très structurée, et par un jeu vibrant de naturel qui ne confère que lus d’attrait aux énigmes semées dans la proposition.
Voyage traite de notre rapport au temps. Il ne porte pas de sous titre « 1er épisode » à la légère, le sujet est immense, pour ne pas dire illimité. Ainsi ses auteurs évitent-ils d’opposer le temps nerveux de l’animal technologique que nous sommes au temps rythmé et en apparence immuable de l’animal de tradition que nous étions. Pour l’heure.Car ils se défendent d’avoir fermé la boucle.Ils se réservent des matériaux pour d’autres épisodes, voire la possibilité d’ajouter à celui qui nous occupe.
Cet épisode premier, déjà, invite à une méditation éclairante sur le sens du voyage cosmique qu’est le nôtre. Il est ludique, intelligent, surprenant, stimulant. Par le truchement de cinq personnages venus d’espaces-temps voisins ou carrément différents, nous sommes confrontés à notre condition, à l’aléatoire de nos vies. Nous nous mesurons à notre fragile sentiment du présent, qui vient peut-être de ce que nous sommes à la fois suspendus au futur et accrochés au passé, tiraillés entre la mémoire et le rêve, trop indifférents au temps qui passe, quoi.
Hormis les corps et les vox des acteurs, tous intensément présents, la scène s’emplit de peu : rares accessoires, de quelques projections. Accompagnée de quelques effets sonores dramatiques et d’un peu de musique, la parole crée des rencontres insolites et sympathiques, parfois troublantes, souvent cocasses.
Assez tôt, tout ça est emporté par la métaphore du vaisseau Terre : la salle est un avion dont le pilote est le régisseur du spectacle. Nos co-passagers sont une femme de théâtre d’entrée victime d’un accident de la route, et qui nous parle d’outre-tombe, du coma ou d’un entre deux- aucune importance car ça ouvre de riches perspectives dramatiques. Il y a cette femme, un généticien qui inscrit notre être dans le temps par la poétique aléatoire de l’ADN, une sexologue qui nous fout le vertige en soumettant les explications de ce dernier aux desseins innombrables du désir, un chanteur québécois sur lequel le temps n’a pas d’emprise (c’est un ange !), et une jeune violoniste qui joue la mère de la femme de théâtre, alors que le lien inverse unit leurs interprètes (Eve et Lola Bonfanti) dans la vraie vie ! Bref, il y a là une oeuvre d’imagination féconde et le bellement ordonnée dans laquelle la science danse avec le mystère, la réflexion avec délassement et la gravité avec la fantaisie.
Avec : Eve Bonfanti, Simonne Moesen, Lola Bonfanti, Yves Hunstad, Etienne Van der Belen, Valère Le Dourner
Conception, mise en scène et scénographie : Eve Bonfanti & Yves Hunstad
Lumières : Maria Dermitzaki
Musiques : Lola Bonfanti
Orchestration : La Chambre de Néthen sous la direction de Benoît et Alain Meulemans
Quintette de cuivres : André Philippe et la participation des musiciens de l’Armée de
l’Air et de Terre belge.
Costumes : Françoise Colpé
Montage image et son du film : Yves Mora
Direction technique, régie lumière et vidéo : Vincent Tandonnet
Régie son : Valère Le Dourner
Production : La Fabrique Imaginaire.
Coproduction : Théâtre de la Balsamine de Bruxelles, Groupe des 20 Théâtres
en Île-de-France.
Partenaires de création : Espace Jules Verne de Brétigny-sur-Orge, Théâtre Paul Eluard de Choisy-le-Roi, Hexagone de Meylan, Centre culturel de Dinant, les Théâtrales Charles Dullin, Théâtre Jean Vilar à Suresnes, Théâtre du Pays de Morlaix. Avec l’aide du Ministère de la Communauté Française de Belgique, service général des arts de la scène.
Conseillers scientifiques : Pascal Léonardi, chercheur en démographie, dynamique et biologie des populations humaines; André Brahic, astrophysicien au CEA, professeur à l’Université de Paris VII; Steven Laureys, neurologue, chercheur au FNRS – Cyclotron Liège; Marc Hunstad, Conseiller en aviation
Remerciements à Lorenzo Chiandotto et Henri Morelle pour le son
Durée du spectacle : environ 1h30 sans entracte